Bonjour Olivier, tu es resté une dizaine d’années chez Microsoft…
Je suis entré en 1990 chez Microsoft France comme chef de produit sur les produits grand public (Works, Publisher, Money, Flight Simulator…). Les équipes de Redmond de ces produits m’ont assez vite proposé de les rejoindre en tant que chef de produit international. J’ai ensuite suivi mon boss d’alors chez Microsoft Europe pendant 4 ans pour coordonner les projets marketing transversaux de cette division grand public, avant de revenir en 1998 chez Microsoft France pour m’occuper du lancement de Windows 98 et d’Internet Explorer 5.
Et puis tu as décidé de monter ta propre entreprise…
Fin 1999, je fais un interview éclair sur TF1 pour démentir une rumeur selon laquelle la NSA aurait mis des « bretelles » dans Windows 98 (qui pouvait le croire à l’époque!) et reçois dans la foulée un appel d’un ami qui m’y a aperçu et qui dirige un fonds d’investissement. Autour d’un déjeuner, je lui fais part de mon idée d’une application de reconnaissance de chansons, il me pousse à me lancer… et je l’ai écouté ! Cette start-up a finalement plutôt travaillé sur l’analyse temps réel des émissions de télévision, a grandi et levé de l’argent, mais avant l’avènement des smartphones, le marché n’était pas là, et nous avons déposé le bilan. En 2006, j’ai remonté une structure avec 3 de mes salariés en me promettant d’éviter de refaire les mêmes erreurs (j’en ai fait d’autres) : c’est ma boite actuelle.
Aujourd’hui tu diriges depuis 8 ans Quividi, peux tu nous expliquer l’offre ?
Quividi aide les marques et les annonceurs à mieux communiquer dans les lieux publics, tels que les magasins, les centres commerciaux, les aéroports, etc. Nous le faisons au moyen de capteurs vidéo de type webcam qui transmettent un flux d’image à notre soft, qui y détecte des corps, des visages, les suit dans le temps et en extrait des caractéristiques démographiques (sexe, tranche d’âge). Les données restent anonyme – on parle de détection et non de reconnaissance faciale – et aucune image n’est sauvegardée ; la CNIL l’a validée, bien entendu.
Avec ces méta-données, on dispose d’un outil de mesure d’audience complet, sans biais, qui permet de bien comprendre les volumes, les tendances dans le temps et les comportements des visiteurs, que ce soit devant un poster, un écran, une vitrine, un produit sur une étagère, etc. Et comme la solution fonctionne en temps réel, il devient possible de diffuser un contenu vidéo différent selon qu’une mère de famille avec un enfant ou un groupe de jeune passe devant l’objectif.
Autant d’éléments pour aider nos clients à affiner leur communication et monétiser leurs médias.
Comment se passe ton business aujourd’hui ? les clients, les partenaires… ?
Nous nous sommes concentrés sur le marché du Digital Out of Home à nos début (affichage dynamique en français) et, après des années à évangéliser le concept, nous sommes en passe de convaincre les grands réseaux d’écrans dans de nombreux pays. Dès le départ, nos prospects sont venus du monde entier – heureusement, car nos clients français sont du genre frileux. En mettant graduellement en place un réseau de 8 responsables régionaux et des revendeurs certifiés, nous avons vendu à des clients aussi divers que la Loterie de Nouvelle Zélande, le métro de Tokyo, une chaîne de pharmacies d’Afrique du sud, des banques tchèques, la chaîne Equidia dans les bars PMU, le tout dans 45 pays.
En 2010, notre concurrent américain s’est fait acheter par Intel : ce qui nous semblait signer notre arrêt de mort (Intel ayant adopté une stratégie freemium pour son produit) s’est finalement révélé une aubaine : Intel a pris le relais dans l’éducation du marché, a changé de stratégie puis s’est désintéressé de notre niche de marché. Notre produit, connu pour sa performance technique, s’est alors imposé ; notre croissance est actuellement très forte, et notre part de marché supérieure à 50% dans le monde.
J’ajouterais que depuis 2 ans, des grandes marques internationales utilisent notre solution pour mesurer l’impact visuel de leur produits sur les étagères et comprendre ce qui provoque réellement une vente. Ce nouveau marché nous semble avoir beaucoup de potentiel. Nous travaillons à encapsuler tout notre savoir-faire dans des tablettes que de plus en plus de marques vont déployer en magasin.
Depuis quelques mois, tu as décidé de t’installer aux us pour faire grandir ta startup, comment cela s’est-il passé ? les freins que tu as rencontré…
Les Etats-Unis étaient le marché que nous hésitions à aborder, du fait de la présence d’Intel et des coûts importants qu’on nous promettait (plusieurs millions de dollars à y dédier). Nous n’y avions pratiquement pas de clients et ne pouvions prétendre à une place de leader mondial sans y être présents. J’ai sauté le pas au début de cette année en m’installant seul, pour commencer, à Plug and Play, une pépinière de la Silicon Valley, qui propose hébergement, coaching, pitches à tout va à des grandes marques et fonds d’investissement.
Cette approche est vraiment intéressante: il y a des centaines d’autres starts-ups autour de moi avec qui discuter (dont plusieurs dizaines d’européennes), de nombreux rendez-vous quotidiens pour les entrepreneurs et une énergie qu’on trouve peu ailleurs. Surtout, la Silicon Valley attire les grands groupes du monde entier qui, quand ils n’y ont pas leur siège, y possèdent des ‘innovation labs’ ou viennent en délégation y repérer l’innovation de demain et proposer des pilotes à des start-ups.
En quelques mois, à l’aide d’un directeur des ventes senior américain et d’un responsable régional sur la cote est que j’ai embauchés, j’ai pu rencontrer 50 grands groupes, signer une dizaine de partenariats importants, commencer à américaniser notre communication et nos pratiques commerciales. La filiale sera bientôt rentable, car nos coûts actuels sont d’un ordre de grandeur inférieurs à ceux précités. Nous allons chercher à faire un tour de financement aux Etats-Unis au printemps prochain. Nos équipes de développement et de support resteront sur Paris.
Finalement, le plus compliqué, c’est d’obtenir mon visa !
Quels sont les grands enseignements que tu as pu retirer de la création d’une entreprise ? ce que tu as appris chez ms qui t’as aidé à monter différentes sociétés ?
Dire que la création d’entreprise n’est pas un long fleuve tranquille est un euphémisme. On est pris des cycles longs, que contrarient ou amplifient des cycles courts en permanence : accroché à une vision que l’on porte, inquiété par des mois sans vente, illuminé par un succès inattendu, effondré par une gamelle le lendemain. Bref, il faut être obstiné, avoir confiance en ses associés et s’assurer du soutien de sa famille.
Lancer sa boite, c’est aussi apprendre à tout faire, au détriment de la spécialisation. Rechercher des réponses sur Internet ou auprès de ses pairs, lire beaucoup de blogs et de livres d’entrepreneur, et dans le doute utiliser son bon sens.
Enfin, c’est être Vishnou : dix fois dans la journée, on est amené à changer de casquette, et faire des listes sans fin de points à régler urgemment. C’est tard le soir qu’on peut prendre du recul et faire d’autres listes pour le futur.
Dans ce contexte, Microsoft m’a inspiré de plusieurs manières : notre équipe a mis en place de multiples automatismes et systèmes pour travailler comme 4, elle a appris à analyser les dynamiques de notre marché pour mettre le doigt sur nos inefficacités (cf. la review). Elle a aussi compris qu’il fallait organiser et motiver notre réseau de distribution et créer un écosystème, et a découvert les marges extraordinaires de l’OEM. J’ai surtout gardé de mon passage chez Microsoft de bons amis que je revois avec plaisir aux réunions de MSA quand je peux être là, ou à San Francisco quand ils passent par là. Avis aux amateurs !
Merci olivier !
Plus d’informations sur http://www.quividi.com/fr/